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La loi et la maladie mentale : une formule de soins éprouvante

L’urgence est un lieu physique connu et essentiel dans notre système de santé. On y rattache le caractère de ce qui est urgent, de la nécessité d’agir vite, sans délai et en toute hâte. Souvent associé aux problèmes de santé physique, cet endroit se veut rassurant et sécurisant. À raison, puisque peu importe la région du Québec, cette avenue médicale assure à l’ensemble des québécois l’accès à des professionnels compétents et attentionnés qui prennent soin des patients et voient à résoudre ponctuellement leurs problèmes de santé.

 

L’accès à l’urgence

Quoique les urgences sont confrontées à un taux d’achalandage démesuré et que le temps d’attente est parfois à la limite de l’acceptable, la population s’y rend de façon volontaire et ce, 365 jours par année. La preuve en est faite, les gens ont confiance aux urgentologues et à l’équipe soignante mais l’utilisation outrancière de cette ressource est un problème quasi insoluble. Il s’agit d’une situation qui crée d’ailleurs un casse-tête aux gestionnaires, aux politiciens et à l’ensemble du personnel des salles d’urgence. Dans un tel contexte, qu’en est-il lorsqu’une personne en décompensation s’y présente avec une maladie mentale ou avec des manifestations cliniques reliées à un trouble majeur de santé mentale ?

Dans un premier temps, il est important de situer cette problématique puisqu’elle a une particularité qui lui est propre. Contrairement aux gens qui s’empressent de consulter à l’urgence avec un problème de santé physique, les personnes atteintes de maladie mentale s’y retrouvent assez fréquemment de façon involontaire. Cette réalité s’explique dû au fait qu’en période psychotique, la personne perd contact avec la réalité. Dès lors, les symptômes sont tels que les hallucinations visuelles et/ou auditives amènent une désorganisation qui peut se traduire, entre autres, par de l’agitation ou un retrait social excessif. L’ensemble de ces manifestations fait en sorte qu’il y a une altération importante de la pensée.

Lors d’une telle période, les symptômes deviennent difficiles à supporter pour les membres de l’entourage qui se retrouvent souvent à court de moyens pour intervenir. Leur rôle d’accompagnateur prend alors tout son sens car les familles sont au cœur du quotidien et des routines de vie de la personne atteinte. En situation de crise, le sentiment d’impuissance qui envahit les membres de l’entourage les entraînent vers la détresse émotionnelle. Ils veulent bien faire, mais ne savent pas comment et encore moins à qui s’adresser. Leur tolérance et leur patience font foi des liens affectifs qu’ils éprouvent envers leur proche et de leur capacité à établir leurs limites.

 

Convaincre : facile à dire, difficile à faire !

D’entrée de jeu, les familles ne peuvent ignorer la crise puisque la désorganisation d’un proche entraîne la désorganisation de la cellule familiale. Rapidement, les membres de l’entourage se retrouvent dans un cul-de-sac où plus rien ne bouge, sauf la tension familiale qui se voit augmenter.

Quand rien ne va plus, les familles tentent de convaincre leur proche de se rendre à l’hôpital pour rencontrer un médecin. Dans cette perspective, la personne atteinte est souvent ambivalente ; elle va avoir des difficultés à prendre une décision éclairée. La plupart du temps, elle ne se perçoit pas comme étant « malade » et elle nie catégoriquement avoir besoin d’aide. Cette réaction suscite de la frustration et parfois de la colère chez les membres de l’entourage. La communication devient difficile et tous et chacun se retrouve sur la défensive.

Lorsque les familles réussissent à convaincre leur proche de se rendre à l’urgence, elles se retrouvent dans une zone qui devrait normalement les sécuriser. Malheureusement pour elles, ce n’est pas toujours le cas. Les délais d’attente sont souvent néfastes pour une personne atteinte de maladie mentale. Dans l’éventualité où cette dernière doit patienter plusieurs heures, il n’est pas rare qu’elle abdique et quitte le centre hospitalier et ce, au grand regret de sa famille. Par ailleurs, lorsque l’équipe de soins prend en charge la personne atteinte, les familles se voient éclipsées et ainsi, elles n’ont pas l’opportunité de faire valoir leur point de vue en lien avec les symptômes observés et encore moins d’obtenir de l’information sur la situation de leur proche.

 

Le mur de la confidentialité

Légalement, les professionnels du milieu de la santé sont contraints au secret professionnel. Concrètement, ils ne peuvent divulguer de renseignements aux membres de l’entourage, à moins que la personne atteinte ne l’autorise. Or, la confidentialité des renseignements, que l’on fasse référence au diagnostic, aux résultats d’analyse, au traitement ou à l’évaluation, favorise l’exclusion de la famille. D’un point de vue éthique, la rigueur qui entoure ce principe est louable et essentielle. Cependant, les expériences rapportées par les familles semblent démontrer que les professionnels ont une plus grande ouverture à échanger avec les membres de l’entourage quand il s’agit d’un problème d’ordre physique.

Il y a bien sûr des exceptions à la règle. Le professionnel peut déroger s’il s’agit de prévenir un acte de violence, dont un suicide, d’informations relatives à la mise sous garde en établissement, lorsqu’une personne majeure est inapte à consentir ou encore que la sécurité ou le développement d’un enfant mineur est compromis.

Compte tenu du fait que la personne se rend à l’urgence sur une base volontaire, le professionnel va limiter son intervention à la personne en détresse, nonobstant la présence des proches. Compte tenu que la durée du séjour à l’urgence est généralement brève, sans hospitalisation associée, le personnel soignant a peu de temps pour établir un lien de confiance avec le patient et l’amener à vouloir partager de l’information avec les membres de son entourage. Cette façon de faire va malheureusement avoir des répercussions sur le plan de sortie. Dans les faits, les familles ne tiennent pas à être informées de tous les éléments du dossier, elles veulent avoir un état de la situation générale, obtenir de l’information sur la médication, connaître les ressources disponibles et les étapes du suivi et ce, dans la perspective d’aider leur proche.

 

En situation d’urgence : la Loi P-38.001

Au Québec, dans le régime actuel, lorsque quelqu’un a des motifs sérieux de croire que l’état mental d’une personne présente un danger pour elle-même ou pour autrui, il peut avoir recours à Loi P-38.001. Il s’agit de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui.

Lorsque les familles se voient contraintes à utiliser cette loi pour amener contre son gré un proche atteint de maladie mentale, c’est qu’il y a là assurément une notion d’urgence. La famille, par différents moyens, a tenté d’obtenir, sans succès, la collaboration et le consentement de la personne afin de la conduire dans un centre de santé et de services sociaux. Dans une telle situation, deux scénarios sont envisageables : la garde provisoire ou la garde préventive. Dans un cas comme dans l’autre, il est important de mentionner que les membres de l’entourage font ces démarches à contrecœur. Ils s’y résignent afin d’éviter de voir leur proche s’enfoncer dans la psychose et ainsi aggraver sa maladie mentale. Il s’agit de démarches éprouvantes au point où les familles ont le sentiment que la terre s’effrite sous leurs pieds, la détresse de l’un s’entremêlant à celle de l’autre.

Suzanne, une conjointe, mentionnait : « Je n’aurais jamais cru qu’un jour je ferais appel à la justice pour faire hospitaliser mon chum… Ça m’a déchirée, mais c’était la seule solution qui me restait.» Lorsque les parents utilisent le système judiciaire, c’est après avoir épuisé tous les moyens de convaincre leur proche de se faire traiter. Ils ne s’ingèrent pas de gaieté de cœur dans la vie de la personne et ne la considèrent pas non plus comme un adversaire.

 

Pour aider : la garde provisoire

Dans le cas, où la personne en décompensation refuse d’être conduite à l’urgence d’un centre hospitalier, un membre de l’entourage intéressé ou même un médecin peut s’adresser à la Cour du Québec pour demander à un juge une ordonnance pour obtenir une évaluation psychiatrique. Dans ce cas, le requérant doit démontrer que l’état mental de la personne présente un réel et actuel danger pour elle-même ou pour autrui. La personne doit déposer des preuves tangibles où des faits et des observations sur les comportements de la personne font croire que son état mental présente un véritable danger.

Si le juge accepte cette requête, la personne atteinte devra être conduite à l’urgence du centre de santé et de services sociaux de son territoire. Règle générale, les familles feront appel aux policiers pour cette étape. Or, l’évaluation psychiatrique est une procédure qui est autorisée par le tribunal pour permettre d’évaluer l’état mental d’une personne qui refuse d’être gardée en établissement. En fonction des résultats de cette évaluation, soit que la personne sera libérée et traitée selon sa volonté ou si cet examen conclut que la garde en établissement est préconisée, un second examen psychiatrique doit être effectué par un psychiatre différent.

Au cours de ce processus, les associations-membres de CAP santé mentale soutiennent les familles dans les démarches juridiques et/ou les réfèrent vers les ressources appropriées dans le milieu.

 

Quand rien ne va plus : la garde préventive

Exceptionnellement, lorsque la situation se veut explosive et qu’un danger grave et immédiat se présente, la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui permet de passer outre le consentement de la personne et même celui du tribunal.

C’est à la demande d’un intervenant d’un centre de crise ou d’un membre de l’entourage qui démontre un intérêt particulier pour la personne que l’on peut faire appel aux policiers afin qu’ils amènent la personne en détresse vers un établissement de santé. Il est important de noter que les policiers doivent avoir des motifs sérieux de croire que cette personne présente un danger grave et immédiat. Quoiqu’il s’agisse d’une situation rattachée à un problème de santé mentale, ce sont les policiers qui doivent, de par la loi, déterminer la dangerosité de la personne. Dès lors, ils basent leur décision sur des faits et des attitudes qui sont rattachées au Code criminel.

Cette intervention vers l’urgence et ses professionnels de la santé n’est pas assujettie à une évaluation psychiatrique. Dans les faits, l’urgentologue verra à examiner la personne, et si le médecin est d’avis que son état mental présente un danger grave et immédiat, il verra à la mettre sous garde préventive pendant au plus 72 heures. Si la personne s’oppose à l’évaluation et que sa condition l’exige, l’établissement devra, dans le délai fixé par la Loi, obtenir l’autorisation de la Cour du Québec pour lui faire subir une évaluation psychiatrique. Cependant, dans le cas où la notion de danger grave et immédiat n’est pas présente, la personne sera libérée sans aucun suivi spécifique.

 

Quand la justice s’interpose dans le domaine de la santé

Les membres de l’entourage qui accompagnent une personne atteinte de maladie mentale sont souvent médusés devant l’alliance obligée du système juridique et celui de la santé. Ils constatent que les contraintes juridiques provoquent inévitablement des délais dans le traitement et ce, tout en provoquant une dynamique d’affrontement. Les familles sont conscientes que de faire appel à l’intervention de la justice pour faire soigner un proche contre son gré est risqué car la résultante est souvent une source de stress supplémentaire pour le patient et sa famille. Par ailleurs, après avoir suivi les étapes une à une, les familles se voient parfois confrontées à un arrêt des procédures lorsque vient le moment pour le médecin de faire appel aux tribunaux pour obtenir une ordonnance de traitement. Plutôt que de se lancer dans une saga judiciaire, les établissements de santé peuvent abdiquer et ce, même si c’est la psychose qui motive la démarche.

Un parent nous confiait : « Nous savions tous qu’il était en danger, mais le temps d’obtenir une ordonnance… il était trop tard. » Les familles demandent que le système judiciaire, lorsqu’il est appliqué à la maladie mentale, cesse de forcer les gens à prendre des positions adversaires et mise plutôt sur la coopération nécessaire entre les différents partenaires impliqués. Il s’agit d’une approche qui vise à protéger avant tout le mieux-être des personnes aux prises avec la maladie mentale.

 

Les familles ont besoin d’être entendues

Les problèmes de santé sont tous aussi importants les uns que les autres. Cependant, lorsque la maladie mentale touche un membre de l’entourage, il apparaît plus difficile de parler de traitement et de collaboration. À cet égard, maintes et maintes fois, les familles ont exprimées leur besoin d’être écoutées, de recevoir de l’information et de faire reconnaître leur expertise.

Dans une situation de crise où l’accès aux services transite par la salle d’urgence, ces besoins sont encore plus criants. Les familles font grande confiance aux professionnels et le personnel infirmier a souvent la cote de popularité. Les membres de l’entourage nous rapportent que ces professionnels sont généralement les plus accessibles et disponibles pour les familles. Il apparaît que c’est par l’écoute et la référence que le lien de communication s’établit entre les membres de l’entourage, la personne atteinte et l’équipe soignante.

En santé mentale, quand l’urgence de la situation requiert une visite à l’urgence, règle générale, c’est que rien ne va plus. Dans un hôpital, l’un des secteurs névralgiques qui est constamment sous la loupe médiatique est, sans contredit, la salle d’urgence. Or, lorsque les familles doivent composer avec le système de justice avant d’arriver au système de soins, le parcours est long et sinueux avant, pendant et après la crise.

 

Aux premières loges

Malgré les obstacles rencontrés et leurs multiples craintes, les membres de l’entourage soutiennent et accompagnent leur proche atteint de maladie mentale et ce, tant dans le processus de rétablissement que dans les périodes de crise. Pour arriver à vivre sereinement et s’accomplir dans leur rôle d’accompagnateur, ils doivent apprendre à mettre leurs limites et à développer des mécanismes d’adaptation leur permettant d’actualiser leur potentiel.

Faute de ressources dans le système de soins, les familles ont souvent assumé le rôle des intervenants et ce, toujours dans une perspective d’aide. Aujourd’hui, la reconnaissance du statut d’accompagnateur des membres de l’entourage nous permet de distinguer plus clairement ce qui appartient à l’un et à l’autre. Il faut maintenant s’investir collectivement afin que la communication s’établisse plus facilement entre les différents acteurs, de sorte que l’alliance thérapeutique puisse amortir les problèmes sous-jacents aux connexions parfois obligatoires du système de justice avec celui de la santé.

Il faut une grande dose de courage pour accepter un diagnostic de maladie mentale mais il faut également une grande dose de détermination pour accompagner un membre de la famille qui, au fil des mois et des années, traverse des épreuves qui ne sont pas toujours enviables. Il ne faut jamais perdre de vue qu’il existe un vase communiquant entre la qualité des actions concertées et la santé et le bien-être de toutes les personnes impliquées dans le système de soins.

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